vendredi 23 décembre 2005

Je sais que ceux qui mangent leur sommeil se changent en terre...

Ainsi débute Jean le Tamanoir de Miguel Angel Asturias, auteur guatémaltèque.

Avec une étonnante sérénité, l'auteur plonge dès le début dans un univers fantasmatique fini, autour de l'image si évocatrice de ceux qui mangent leur sommeil. Une image terriblement efficace, mais aux contours indéfinis, qui nous évoque avant tout un sentiment de symbiose vis-à-vis de ces malheureux somnivores.

Tout tient ici de l'évocation avant tout, de cette part du sommeil qui demeure chez tous, non pas une réplique de la mort - car que connaissons-nous d'elle ? - mais un étrange moment d'abandon, de confiance dans l'avenir, qu'est la chute dans le royaume de Morphée.

Nier cette confiance, s'élever contre la nécessité du sommeil, manger son sommeil, témoigne t-il d'une force, d'un défi ? Chez Asturias, cela tiendra avant tout d'un cannibalisme forcé. Peu lui importe, finalement, de dévorer son sommeil : ce sont les implications de cet acte involontaire qui l'inquiètent.

Lorsque se présente à lui la figure onirique du singe blessé, et de l'homme qui le pourchasse pour le donner en pâture à son épouse somnivore, c'est le début d'une explication, d'une stabilité dans son existence bouleversée, qu'aperçoit le narrateur.

La conclusion laisse le lecteur isolé : le narrateur a définitivement abandonné l'espoir de se maintenir dans la réalité, il accepte Jean le Tamanoir, l'homme qui veut dévorer les fourmis qui parcourent sa femme changée en terre pour la ressusciter, comme une donnée réelle d'un univers intégralement chamboulé.

Asturias nous parle t-il des exigences de la littérature, de combien il convient de s'investir en elle, quitte à nier le réel pour se construire le sien propre ? Considération oiseuse : il convient avant tout de se laisser porter par la beauté d'un récit remarquablement écrit, avec cette sensibilité propre à la littérature d'Amérique du Sud - comme un pur moment de majesté narrative.

Jean le Tamanoir est extrait de Le Miroir de Lida Sal