jeudi 29 octobre 2009

"Et voilà, tralala. Zut à celui qui le lira."


"J'espère que tu ne l'as pas déjà lu..." Elle est inquiète - et le papier d'emballage se froisse. "... C'est tellement connu !"

Mais non, il ne connaît pas. Plus tard, il forme le sentiment qu'il devrait certainement se sentir parfaitement crétin de ne pas "connaître" - et se souvient tout à coup que, dans son propre enthousiasme, il a également dû soumettre d'autres destinataires de cadeaux au même traitement. Le mépris, c'est inné, manifestement, et la parano aussi.

Plus justifié est certainement le sentiment vertigineux, mystique, que procure la réalisation des scores que le Scrabble polonais peut atteindre. Ferdydurke, ça s'appelle, par Witold Gombrowicz - ou les aventures d'un narrateur ("Jojo") successivement infantilisé par le recours à son "cucul" et rendu esclave des apparences par sa "gueule".

Les mots se traînent, à évoquer Gombrowicz. A l'instar de la couverture de son édition Folio, l'auteur est perpétuellement sur la corde raide, oscillant entre la logorrhée écrite étouffante, et une science précise de l'équilibre narratif et de la construction d'un paradigme fictionnel symbolique. Prophète du chaos, Gombrowicz fustige l'omniprésence des "parties" : l'individu comme l'oeuvre ne sont à ses yeux qu'autant de monstres de Frankenstein, désireux d'atteindre au sens, à l'existence, mais toujours condamnés à manquer de cohérence.

L'homme régi par le chaos a toujours une longueur d'avance sur celui qui s'efforce à vivre selon la loi. Celle-ci n'est pas l'état naturel de l'individu, et tout ce qui relève de la maturité - grand ennemi de "Jojo" - ne serait que l'expression d'une frustration de l'essence de l'homme.

Sentencieux? Certainement. Mais Gombrowicz, lui, prend son temps pour construire une utopie rédigée, dont le caractère délirant s'impose finalement comme évident, salutaire, plus apaisant que les normes que l'auteur méprise. Celui-ci partage son style entre aphorismes lancés comme des évidences ("si le monde existe, c'est seulement parce qu'il est toujours trop tard pour reculer") et slogans ironiques (le "tralala" du titre, qui clôt le livre), entre tableaux théoriques parfois arides (le combat autour de la maturité) et contes absurdes (Philibert et Philidor). Le tout pour laisser une impression de vertige où l'humour le plus absurde le dispute à l'écriture à thèse - pour finalement se fondre en un.

La grande victoire de Gombrowicz est de réussir à poser le rire, l'irrespect et l'ironie comme langage philosophique - un plus efficace, plus réel que la théorie traditionnelle. Et de nous laisser avec à l'esprit la phrase lancée, enthousiaste, par un ami qui, lui, "connaît" Ferdydurke : "il faut relire Gombrowicz".