mercredi 27 février 2013

Shock Waves


À l'instar d'un bon trader, le producteur bis se doit d'avoir le nez creux. Rarement à la pointe de l'innovation thématique, il sait, en revanche, renifler le filon populaire qui va lui permettre d'enchaîner les succès, ce qui explique la multiplication des productions formulaïques et des sous-genre ultracodifiés.


Avec Shock Waves (le titre original que l'on préférera à sa VF, pataude : Le Commando des morts-vivants), Ken Wiederhorn aborde un sous-sous-genre : le film de zombies nazis aquatiques. Les nazis zombies ont une filmographie rien qu'à eux, et, lorsqu'on connaît le goût prononcé d'Heinrich Himmler et d'Adolf Hitler pour le mysticisme, et la fantasmatique qui entoure leurs tentatives occultes (concernant la Terre creuse, notamment), on peut s'étonner que ce sous-genre n'ait d'ailleurs pas essaimé plus encore. Les zombies aquatiques sont plus communs mais restent contingents, sans doute parce que moins photogéniques : on se souviendra surtout des zombies maritimes de L'Enfer des zombies de Lucio Fulci, où l'on voit notamment un combat d'anthologie entre un zombie et un requin.


Le combat sous-marin titanesque de L'Enfer des zombies

Alors, le film de zombies nazis aquatiques ! L'énoncé, en lui-même, évoque avant tout les tentatives maladroites des producteurs bis pour renouveler, sans succès, les genres qui s’essoufflent en opérant des croisements improbables. La filmographie du genre est peu fournie, mais brille avant tout par sa figure de proue, son chef-d’œuvre, sa merveille : Le Lac des morts-vivants. Réalisé dans les années 1980 par un Jean Rollin peu concerné (qui se cache sous le clinquant pseudo de J.A. Lazer !), le film accumule les contre-performances et s'est constitué, au fil du temps, un culte fervent auprès des pervers amateurs de choses cinématographiques déviantes. Shock Waves, qui lui est pourtant antérieur, souffre d'ailleurs de cette parenté thématique, qui le décrédibilise d'emblée.


Les zombies de la mare aux canards, l'une des multiples grandes réussites du Lac des morts-vivants.

Pourtant, le premier film de Ken Wiederhorn mérite bien plus qu'une curiosité narquoise. Admettons une déception : si le film réunit John Carradine et Peter Cushing, on n'aura hélas pas le plaisir de les voir confrontés l'un à l'autre. C'est avant tout le traitement de son sujet qui se révèle intéressant : un bateau de tourisme fait naufrage suite à une collision avec une épave rouillée, ce qui va conduire les passagers à explorer une île toute proche, refuge d'une escouade de soldats nazis zombies amphibies qui vont évidemment reprendre du service avec l'arrivée de la chair fraîche. L'argument paraît certes un peu ridicule, et renvoie au Lac des morts-vivants. Pourtant, Ken Wiederhorn est concerné par bien autre chose que le cahier des charges homicide d'un film de zombie. Il place son film sous un soleil écrasant, tropical, une chaleur moite qui n'est pas, encore une fois, sans évoquer Lucio Fulci. Mais, faute d'un budget suffisant, ou par choix, Wiederhorn évite les débordements charnels putrescent de Fulci : il laisse s'abattre sur son film une torpeur lente, estivale, à la faveur de laquelle il va composer des plans surréalistes, comme autant de mirages.


L'épave rouillée, étrangement posée sur les eaux.

Ses zombies diffèrent également de la norme : étranges créatures qui semblent se conserver, apathiques, dans l'eau de mer, elles ne sont pas cannibales, à la différence de quasiment tous les autres morts-vivants cinématographiques. Préférant noyer leurs victimes, les soldats zombies apparaissent avant tout comme un avatar inéluctable de la mort – pourtant, la terreur est curieusement absente. Pas de mutilation, pas de douleur monstrueuse dans les derniers moments, pas même de retour parmi les monstres une fois la victime décédée... L'horreur est atténuée, ouatée, comme endormie, elle aussi, par la chaleur écrasante. On se prend à penser à la nouvelle de Maupassant, La Peur, dans laquelle le son d'un tambour sous le soleil du désert cause plusieurs morts, alors qu'il ne pourrait bien s'agir que d'un mirage auditif...


L'escouade zombie comme seul horizon.

Alors, certes, le film fourmille de défauts formels et narratifs : la stupidité aberrante des protagonistes, par exemple, ou les scènes obligées du genre (comme celle qui voit les survivants, en sécurité dans un réduit fermé, ressortir face au danger à cause de la claustrophobie de l'un d'entre eux). On pourrait aussi pointer que les zombies sont terriblement rapides dans l'eau, tandis que les survivants peinent comme vous et moi, ou l'incohérence de certaines scènes, telle celle qui voit une femme poignarder une porte derrière laquelle se trouve un zombie, avant de lâcher son arme sans s'en être servie et de laisser le passage libre à son futur meurtrier... Pour autant ces scènes rappellent Jean Rollin, l'autre, pas le tâcheron, celui qui est capable de tableaux surréalistes poétiques et énigmatiques dans Lèvres de sang ou dans La Rose de fer. Ken Wiederhorn tisse, à la manière de Rollin, une entrelacs de scènes où la cohérence disparaît, au profit d'une narration elliptique, rêveuse, qui pourrait bien n'être, au fond, qu'un conte mis en place par l'esprit de la seule survivante pour faire face à la mort de tous les autres dans le naufrage. Les scènes finales laissent planer un doute salutaire, bien supérieures en cela à la conclusion, sans subtilité ni délicatesse, du récent L'Odyssée de Pi.

mercredi 20 février 2013

Le Train des épouvantes/Histoires d'outre-tombe


En 1945, sort Au cœur de la nuit, excellent film à sketches (on dit aussi « omnibus », ou « porte-manteaux » chez les anglophones) issu du studio Ealing, qui conserve le ton ironique propre au studio anglais, à qui l'on doit notamment le célèbre Tueurs de dames. Milton Subotsky, alors trentenaire, connaît à la vision du film une épiphanie – il restera selon lui le meilleur des films d'horreur. Quelques années plus tard, lorsqu'il décide de fonder avec Max Rosenberg la maison de production Amicus, Subotsky n'a de cesse de porter à l'écran sa propre contribution au genre de l'omnibus. Il sera d'ailleurs crédité en tant que scénariste au générique d'un bon nombre de ces films, devenus la spécialité de l'Amicus, pour le meilleur et pour le pire.

L'affiche originale d'Au cœur de la nuit.

Voir bout-à-bout Le Train des épouvantes (Dr. Terror House of Horrors, 1965) et Histoires d'outre-tombe (Tales from the Crypt, 1972) permet de discerner les qualités et les défauts de ces productions Amicus. Tous deux réalisés par Freddie Francis (« Freddy » au générique du Train des épouvantes), les films reprennent la structure de Au cœur de la nuit : une histoire canevas permettant de lier les uns aux autres quelques courts métrages horrifiques. Notons par ailleurs que les hommages américains au genre, les Creepshows et autres Contes de la nuit noire initiés par George Romero et Stephen King, ne saurons jamais retrouver la pertinence de ces histoires-canevas, les ravalant le plus souvent au rang de simple prétexte sans saveur.

Peter Cushing a à la fois le chapeau et le sourcil circonflexe dans Le Train des épouvantes. Quel talent !

Le Train des épouvantes va ainsi donner la parole à un Peter Cushing broussailleux, cartomancien sibyllin qui va, à l'aide de son tarot de Marseille (I call it my « house of horrors », nous dit-il), révéler à chacun des autres passagers l'horrible histoire qui l'attend dans son futur proche, et lui donner la clé grâce à laquelle il pourra, éventuellement, y échapper. Mystère et froncements de sourcils sont au rendez-vous. Histoires d'outre-tombe se montre plus littéral : égarés lors de la visite de catacombes (c'est toujours une bonne idée), quelques touristes vont se voir confrontés à un moine bergmanien, sis devant une statue de crâne colossale – celui-là, on comprend vite qui il est – et prompt à leur raconter des histoires épouvantables les mettant en scène.

"Mais qui êtes-vous bon sang ?!" À ton avis, petit personnage inconscient ? (Histoires d'outre-tombe)

À plus d'un titre, les différences entre Le Trains des épouvantes et Histoires d'outre-tombe sont déjà soulignées ici : le deuxième manque de l'enthousiasme, de la spontanéité du premier. Sept ans ont passé, pendant lesquels la Amicus a produit La Maison qui tue ou Le Jardin des tortures, tandis que, en 1972, la part du lion du film-omnibus revient à Asylum. Histoires d'outre-tombe fait donc figure de parent pauvre, avec ses cinq histoires dont deux sortent seules du lot. À oublier, donc, la variation sur le thème du Père Noël tueur (particulièrement creuse), la redite de L'Incident à Owl's Creek d'Ambrose Bierce et le conte aux trois-vœux-un-peu-trop-littéraux. Restent donc deux contes : celui qui clôt le film, Blind Alleys, est avant tout remarquable par l'absurdité de son propos. On y voit une congrégation de vieux aveugles se retourner contre un militaire borné chargé de diriger leur hôpital. Le bonhomme étant un bureaucrate particulièrement détestable – une bonne caricature antimilitariste, quoi – les aveugles décident de l'enfermer dans un labyrinthe truffé de pièges sadiques. Bravo donc à la troupe, qui réussit notamment à construire un couloir bordé de lames de rasoirs sans y voir goutte. Mais passons : en lui-même, le conte est amusant et annonce les débordements baroques de la saga d'Anton Phibes.

Le Méchant Militaire méprise ouvertement ses pensionnaires aveugles. Coup de bol, ils ne le voient pas faire !

L'autre conte, qui vaut à lui seul de découvrir le film, est Poetic Justice. On y découvre un Peter Cushing doux et candide, loin de ses performances précédentes. Vieux chiffonnier vivant de peu dans une petite maison, le bonhomme scandalise le jeune bourgeois de la villa d'en face, qui décide de le pousser à déménager – voire pire. Deux aspects du court métrage sont remarquables : d'une part, la cruauté perverse du jeune homme (interprété par Robin Phillips), d'autre part, la fragilité de l'interprétation de Peter Cushing. À un peu moins de 60 ans, l'acteur est devenu veuf l'année précédente. Il était marié à Helen Beck depuis 28 ans, et le décès de son épouse l'a tellement éprouvé qu'il aurait, selon son autobiographie, tenté de se suicider. On peut donc aisément imaginer à quel point sa détresse personnelle ressort dans son interprétation d'Arthur Grimsdyke, vieux bonhomme solitaire dont les seuls plaisirs sont la compagnie de ses chiens et les cadeaux qu'il rafistole pour les enfants du voisinage. La conclusion de Poetic Justice, retombant dans un surnaturel peu spontané et aux effets bâclés, peut être ignorée, au profit de cette composition poignante, sans équivalent dans la carrière de l'acteur.

Peter Cushing dans Histoires d'outre-tombe.

Si Histoires d'outre-tombe fait référence aux magazines d'horreur à bon marché dans son titre original (Tales from the Crypt), c'est pourtant Le Train des épouvantes qui rend le mieux hommage à l'esprit ironique desdits magazines. Avec un seul temps mort, le film – littéralement omnibus puisque se déroulant dans un train – est une suite délicieuse de contes inventifs, servis par une ribambelle d'acteurs de talent. C'est également l'occasion pour la Amicus de marcher sur les plates-bandes de sa principale concurrente : la Hammer. Ainsi, le premier segment met-il en scène une histoire de loup-garou qui souligne avec malice les complexités et les aberrations de cette mythologie, tandis que Donald Sutherland, alors tout jeune acteur, est pris dans une histoire de vampire bien éloignée des canons de la saga avec Christopher Lee et Peter Cushing. Mettons de côté le très décevant segment mettant en scène une plante intelligente et assassine, moins convaincante encore que celle de Roger Corman dans La Petite Boutique des horreurs, cinq ans plus tôt, pour nous consacrer aux deux morceaux de choix.

Aaaaah ! Le géranium a mangé notre invité !

Dans le premier d'entre eux, Bill Bailey, qui n'était pas encore l'institution télévisuelle qu'il est aujourd'hui, interprète un jazzman un tantinet simplet qui, au retour d'un voyage en Haïti, décide de forger sa réputation avec un titre reprenant la mélodie d'une chanson dédiée à un dieu vaudou. Ses amis lui disent que c'est une mauvaise idée, son patron confirme, sa concierge le lui dit aussi, les spectateurs, même, le lui crient, mais rien n'y fait. Bill Bailey balade sa bouille ravie de jeune premier content de lui au fil d'une histoire dont l'argument horrifique n'est pas du tout pris au sérieux par Freddie Francis, qui réalise le tout comme une comédie, avec une efficacité certaine. D'humour, il est aussi question dans le segment mettant en scène Christopher Lee – un humour à l'image de son protagoniste : froid, ironique et cassant. Lee interprète ici un critique d'art prestigieux, hautain et suffisant qui se verra ridiculisé dans sa rivalité avec le peintre Eric Landor (Michael Gough qui, avant d'être d'Alfred des Batman de Tim Burton, a fait ses armes dans le redoutable Crimes au musée des horreurs). Pour regagner sa dignité, il ira jusqu'aux dernières extrémités... Christopher Lee campe son personnage avec un sérieux papal, infligeant en passant un camouflet ironique aux critiques cinématographiques.

Freddie Francis dans ses œuvres.

Plutôt atone dans Histoires d'outre-tombe, la réalisation de Freddie Francis est beaucoup plus volubile dans Le Train des épouvantes – plus, en tout cas, que ne le laissait supposer son Empreinte de Frankenstein chez la Hammer, deux ans plus tôt. Composant des atmosphères soignées, Francis profite pleinement de ses sujets : son loup-garou lui inspire des couleurs chamarrées, gothique à foison, et son utilisation de la lumière témoigne de sa principale carrière de directeur de la photo, particulièrement dans les segments de Christopher Lee et de Donald Sutherland.

Comme dit Christopher Lee.

Notons enfin que si Le Train des épouvantes est disponible dans un coffret DVD souvent trouvable à bas prix, la qualité des sous-titres laisse souvent à désirer : quand ce ne sont pas des erreurs de traduction patentes, ce sont d'énormes fautes d'orthographe. Il faudra certainement en passer par cela pour profiter à plein de ce coffret bis hautement recommandable.

(Le coffret Peter Cushing comprend la mite géante du Vampire a soif, les bouses extraterrestres homicides de L'Île de la terreur, la délectable Chair du Diable et Le Train des épouvantes.)

Lire également :
From Beyond the Grave