vendredi 28 avril 2006

"La vie ne se divise pas en genres narratifs...


... C'est un roman d'horreur romantique, tragique, comique, de science-fiction, d'enquête, au far-west. Et, vous savez, avec un peu de chance, le roman comprendra un peu de pornographie.
" - Alan Moore

Faire une rencontre avec Alan Moore, c'est quelque chose qui vous change une vie. Je ne parle évidemment pas d'une rencontre en vis-à-vis, bien qu'une entrevue avec cet auteur parano-maniaco-labyrinthique doive certainement être quelque chose de diablement intéressant - même si passablement perturbant.

Rencontrer son oeuvre, c'est rencontrer Moore. La production pléthorique du bonhomme, majoritairement dans le cadre du média "comics", rend l'affaire des plus simples : il suffit aujourd'hui de tendre la main pour trouver Watchmen, From Hell, La ligue des gentlemen extraordinaires, Constantine ou V pour Vendetta dans les rayonnages des supermarchés culturels. Et cela a évidemment trait au fait que le cinéma, qu'Hollywood s'est emparé de l'univers de l'auteur anglais.

Dans leur article sur George Brummel, Bechtel et Carrière (Dictionnaire du ridicule / Encyclopédie du Bizarre) soulignent, sans pour autant proposer d'explication à ce fait, que le fait d'être de nationalité anglaise prédispose d'étonnante façon à l'excentricité. C'est donc sans réelle surprise qu'on lira les déclarations fracassantes de l'auteur, tout autant que ses implacables billets, en exergue de ses oeuvres. Une chose est certaine, cependant : l'excentricité "anglaise" d'Alan Moore ne survit pas au voyage au dessus de l'Atlantique.

S'il est une constante dans l'adaptation de son oeuvre au cinéma, c'est l'affadissement. Une constance malheureuse, considérée aujourd'hui comme un mal prévisible par les amateurs de l'auteur, qui ont vu successivement défigurer (certainement le pire de tous) la Ligue, puis Constantine, From Hell... Etonnamment, de la part d'un réalisateur comme celui du très assagi 300, Watchmen demeure passablement acceptable, même si dénué (c'était à prévoir vu la densité de l'oeuvre) de toute profondeur.

Et que dire de V pour Vendetta, quelques deux ans après sa sortie, à la lumière de la suite du discours des Wachowski - ici crédités au scénario, mais fort vraisemblablement plus présents? Si les réalisateurs de la saga Matrix ont prouvé quelque chose avec leur dernier film, Speed Racer, c'est 1) qu'ils n'avaient peur de rien, 2) qu'ils avaient bien raison, puisque leur style et leur absence parfaite de discours autre qu'esthétique les mettent à l'abri de toute forme de mise en danger intellectuel.

V pour Vendetta demeure donc, avec le subséquent Watchmen, l'exemple d'une dichotomie étonnante : l'adaptation la plus fidèle possible esthétiquement d'une oeuvre complexe, tout en étant la plus grande trahison du matériau intellectuel. Evidemment, la réussite esthétique intensifie la déception intellectuelle - mais le fait demeure qu'il apparaît que, plus que jamais, l'hégémonie commerciale du cinéma hollywoodien pousse à un inquiétant nivellement par le bas des prétentions intellectuelles des films produits par l'usine à rêve. Sans parler, pour donner dans la paranoïa à la "Alan Moore", d'une tendance voulue à la décérébralisation de l'auditoire...

"Il n'y a pas beaucoup de personnages sympas et complices dans V pour Vendetta, et ce livre est destiné aux gens qui ne coupent pas la télé quand passent les infos." Une belle définition en creux de cette politique culturelle hollywoodienne par David Lloyd, dans son introduction au roman, édition de 1988.

V pour Vendetta

(archives de www.critikat.com, avril 2006)