vendredi 25 décembre 2009

Midi à sa porte


On se déchire autour d'Avatar : d'aucun y voient une grosse machine hollywoodienne béate moraliste et prévisible ; d'autres un bon blockbuster de fin d'année ; d'autres, enfin, une évolution subtile du discours cinématographique de James Cameron dans son rapport à Mamoru Oshii, qu'il admire (mais méfions nous de cet illuminé).

Mais le propos le plus intéressant revient à un ami, qui a aimé le film en soulignant qu'on pouvait certainement porter plus de crédit à Avatar, Pompoko ou Princesse Mononoke en matière de recrutement actif à la cause écologiste, qu'aux films ronflants de Yann Arthus Bertrand ou de Nicolas Hulot. Et d'ajouter qu'Avatar posait remarquablement bien les bases d'un monde crédible, et se servait à excellent escient de sa capacité d'immersion du spectateur pour porter ce discours.

A la pertinence de cette approche, à la justesse de la liste des films y répondant, je rajouterai, ayant réouvert Gaiman, une petite nouvelle de son cru, d'une délicieuse et implacable ironie, qui me semble importante.

Babycakes

Il y a quelques années, les animaux disparurent.
Un beau matin, nous avons ouvert les yeux, et ils n'étaient plus là. Ils n'avaient pas laissé de message, pas même dit au revoir. Nous n'avons jamais réellement su où ils étaient partis.
Ils nous manquaient.
Certains de nous dirent alors que le monde avait pris fin - mais non. C'était juste que les animaux n'étaient plus là. Plus de chats ni de lapins, de chiens ou de baleines, de poissons dans la mer, d'oiseaux dans le ciel.
Nous étions seuls.
Et nous ne savions pas quoi faire.
Pendant un temps, nous nous sommes sentis perdus, puis quelqu'un remarqua que l'absence des animaux n'était vraiment pas une raison pour bouleverser nos vies. Aucune raison de changer de régime, ou d'arrêter de tester les produits qui pourraient nous faire du mal.
Après tout, il nous restait les bébés.
Les bébés ne parlent pas. Ils bougent à peine. Un bébé n'est pas rationnel, et est bien loin d'une créature pensante.
Nous avons fait des bébés.
Et nous les avons utilisés.
Certains, comme nourriture. La chair de bébé est tendre et succulente.
D'autres, nous avons écorchés, et nous sommes parés de leurs peaux. Le cuir de bébé est doux et confortable.
Sur d'autres enfin, nous avons fait des tests.
Nous avons écarquillé leurs yeux avec des pinces, y avons versé du détergent et du shampooing, une goutte à la fois.
Nous les avons mutilés, ébouillantés, brûlés. Nous les écartelions sur des tables de dissection, avec des électrodes dans le cerveau. Nous avons pratiqué des greffes, tenté de les congeler, ou de les irradier.
Les bébés respiraient notre fumée, et leurs veines étaient pleines de nos drogues et de nos médicaments, jusqu'à ce qu'ils cessent de respirer, et leur sang de couler.
C'était dur, évidemment, mais nécessaire.
Personne ne peut dire le contraire.
Avec les animaux disparus, que pouvions nous faire ?
Certains protestèrent, évidemment, mais il y en a toujours des comme ça.
Et tout redevint comme avant.
Seulement...
Hier, les bébés ont disparu.
On ne sait pas où ils sont partis, on ne les a pas vus faire.
On ne sait pas ce qu'on va faire sans eux.
Mais nous allons trouver. L'Humain est malin. C'est ce qui nous différencie des animaux et des bébés.
On va bien finir par trouver.

Babycakes
, in Smoke and Mirrors, Neil Gaiman

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