mercredi 23 mai 2012

Paperhouse

Entre 1988 et 1992, Bernard Rose va marquer le cinéma fantastique, dans l'acception la plus large du terme. Sur les pentes enneigées d'Avoriaz, qui a encore à ce moment-là quelques années avant de se faire dévorer par Gérardmer, on peut découvrir quelques perles qui témoignent d'un désir pour un fantastique différent, alors que le genre est dominé par le slasher.

Paperhouse (1988) fait partie de cette école, qui ne laisse pas d'étonner la presse d'alors : le film est profondément onirique, n'appartenant au genre de l'horreur que par l'effroi, la tension qu'il génère, et non par les effets de manche et de maquillage coutumiers du genre. Paperhouse ne fait allégeance à aucun genre, création unique au croisement d'une esthétique surréaliste et d'un imaginaire revu à la mode freudienne.

La maison de papier.

Bernard Rose va, quatre ans plus tard, entrer dans le panthéon de l'horreur par la grande porte, et avec tous les honneurs, pour Candyman. Remarquable relecture du mythe du croque-mitaine, le film est avant tout celui du scénario de l'écrivain d'horreur Clive Barker et de la partition, hypnotique, de Philip Glass. Bernard Rose subsiste-t-il, aux côtés de ces deux géants ? À comparer Candyman à Paperhouse, on se rend compte que le réalisateur persiste dans certaines obsessions : la déshumanisation de son époque, et l'idée d'exprimer celle-ci via les bâtiments. Ainsi, le Cabrini Green de Candyman est-il autant un personnage central que l'héroïne, Helen, ou que Candyman lui-même : à tout prendre, Candyman est Cabrini Green.

Évidemment, les bâtiments jouent un rôle central dans Paperhouse, avec en premier lieu la maison de papier du titre. C'est la construction imaginaire d'une petite fille, Anna, qui fuit un réel qui ne la comble aucunement : trop intelligente, trop douée, elle est également trop sensible. Son père étant toujours loin de sa famille – pour son travail, nous dit-on, elle manifeste son état de manque par une hypersensibilité, une arrogance aussi difficiles à supporter pour sa mère que pour le spectateur. Sa chambre, dans laquelle elle est bien vite confinée, l'étouffe autant que sa salle de classe : elle va lui préférer les plaines infinies du monde onirique dans lequel prend place sa maison de papier.

Créé d'un simple coup de crayon, l'intérieur de la maison est dépouillé, et le visage du jeune homme inconnu dessiné à la fenêtre est, logiquement, privé de l'usage de ses jambes.

Bernard Rose privilégie les gros plans oppressants dans le monde réel, tandis qu'il se plaît à mettre en valeur l'espace dans le monde du rêve : grandes étendues herbeuses, grandes pièces aux teintes pâles. Lorsque le rêve vire au cauchemar, le réalisateur va donner, plus encore, dans l'abstraction, le symbolisme, et pénétrer de plain-pied dans le monde horrifique : c'est d'ailleurs le seul moment où Paperhouse peut être rattaché à un genre particulier, tant le ton du reste du film échappe à toute classification.

Le plus intéressant de Paperhouse demeure la transition opérée entre une première partie tangible, sise dans le monde réel, dans lequel tous les personnages semblent être parvenus aux limites de leur nervosité, prêts d'exploser, et la seconde partie, qui survient alors qu'Anna prend conscience de la correspondance entre ses dessins et son monde onirique. La tension accumulée par Bernard Rose va subrepticement alimenter la terreur sous-jacente qui parcourt le film : quand les adultes vont-ils décider que l'asile est la seule pour Anna, dont le comportement arrogant laisse place à une fièvre perpétuelle oppressante.

Bernard Rose se charge de donner corps au monde du rêve d'une façon exagérée, grotesque, qui évoque les peintures surréalistes de Dali autant que le monde des morts du Beetlejuice de Tim Burton : la progression des décors est également celle de la tension, voire de l'épouvante, qui demeure pourtant perpétuellement tapie sous les images – une épouvante qui ne va se révéler qu'en tout dernier recours. De là, la circonspection des amateurs du genre.

Le basculement dans le cauchemar : le croque-mitaine, déjà, paraît à l'horizon.

Malgré toute l'attention portée à ce monde onirique et à la façon qu'il a d’interagir avec le réel, Paperhouse demeure bancal, manquant peut-être du soutien de la partition d'un Philip Glass pour faire de lui le classique qu'il aurait du être. Malgré tout, on ne peut manquer de saluer la subtilité avec laquelle le film va revenir vers le monde du conte de fée « à l'ancienne », de ceux où les thèmes du passage à l'âge adulte, de la sexualité et de la mort étaient omniprésents, de ceux, également, qui laissent planer le doute sur la conclusion du récit – ce qui achève de placer Paperhouse hors des sentiers battus.

Revoir Paperhouse aujourd'hui offre, enfin, une satisfaction supplémentaire : celle de se rendre compte de la parenté de ce film et du récent The Hole de Joe Dante : structure et problématique similaire, avec, pour Dante, le choix de partir sur les voies de l'horreur sombre, quand Bernard Rose reste dans la pureté clinique. Deux faces d'une même pièce, en somme, guère plus rassurante l'une que l'autre.

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